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La transsubstantiation, dogme central de la foi catholique

catholique eucharistie

Au mois d’août dernier, une étude menée par le Pew Research Center, basé aux États-Unis, montrait que seul un catholique américain sur trois croyait à la doctrine de l’Église sur l’Eucharistie et à la transsubstantiation. Nous en parlons avec le père Nicolas Buttet, fondateur de la fraternité Eucharistein.

Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican

C’est l’acmé de la liturgie eucharistique: au moment de la consécration, les espèces du pain et du vin deviennent le Corps et le Sang du Christ, tout en conservant les caractéristiques physiques et les apparences originales. Cette doctrine de la transsubstantiation, -ou de la présence réelle-, proclamée par l’Église lors du 4e Concile du Latran (1215), fut confirmée lors de la seconde session du Concile de Trente, en 1551.

Il semblerait pourtant que ce dogme central de la foi catholique, «source et sommet de la vie chrétienne» ne soit pas perçu comme tel par certains croyants. Cet été, une étude menée par le prestigieux Pew Research Center, intitulée «What American know about religion» (ce que les Américains connaissent de la religion), a livré en ce sens des résultats assez édifiants: un tiers des catholiques (31%) disent croire à la présence réelle: le reste, 69%, affirme considérer le pain et le vin consacrés comme de simples «symboles».

Nous en parlons avec le père Nicolas Buttet, fondateur de la fraternité Eucharistein.

Seul un tiers des catholiques américains croient en la transsubstantiation, c’est-à-dire en la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Que vous inspire ce chiffre ?

Cela m’inspire de la tristesse, car c’est quand même le trésor de notre foi, de notre vie chrétienne. Jésus a choisi de demeurer avec nous sous cette forme-là, jusqu’à la fin des temps. Mais sans vouloir être pessimiste, il y a ceux qui disent ne pas croire, et, -pour reprendre les mots de Jean-Paul II qui parlait d’athéisme théorique et d’athéisme pratique-, ceux qui vivent comme s’ils n’y croyaient pas. L’Eucharistie est-elle vraiment la source et le sommet de la vie chrétienne, comme le dit Vatican II et comme l’ont vécu et en ont témoigné tous les saints ?

S’agit-il d’un problème d’ignorance ou d’adhésion à la foi catholique ?

Je pense que ce n’est pas d’abord une question de connaissance, mais d’expérience. On peut connaître parfaitement, de manière spéculative, la théologie sur l’Eucharistie et tout ce que saint Thomas d’Aquin a écrit sur cela, mais finalement, seuls les saints pourront nous enseigner ce que c’est. C’est pourquoi au terme de l’encyclique de saint Jean-Paul II, L’Église vit de l’Eucharistie, il disait: «mettons-nous à l’école des saints, les grands interprètes de la piété eucharistique authentique». Je pense qu’il y a un déficit complet quant au témoignage de la vie des saints et de l’Eucharistie, car il faut donner goût à l’Eucharistie ! Pour cela, il faut voir des gens qui en vivent, comme les saints. Quand on a vu Mère Teresa devant le Saint-Sacrement comme je l’ai vue une fois, quand on a vu Jean-Paul II célébrer la messe, on comprend que quelque chose se passe et, tout d’un coup, cela nous donne faim et soif.

Que se passe-t-il au moment de la transsubstantiation ?

Un mystère inouï ! Saint Thomas d’Aquin recense au moins neuf miracles qui défient les lois de la science au moment même où un bout de pain et un peu de vin deviennent Dieu. L’essentiel est de comprendre que, contrairement à ce que disait Luther, il n’y a pas du pain ‘et’ Jésus, mais Jésus, réellement, corporellement, substantiellement présent avec son humanité et sa divinité ; que ce Jésus est là, non pas à titre symbolique, et que ce corps, né de la Vierge Marie, est présent, comme le chante la liturgie de l’Église. C’était d’ailleurs le sermon le plus court du saint Curé d’Ars: «Jésus est là», avait-il simplement dit en montrant le tabernacle qui est cette maison du Christ au milieu de nous, ce lieu d’habitation, ce Bethléem, cette maison du Pain de Vie. Il s’est ensuite mis à pleurer et s’est assis, et tout le monde a pleuré après lui. Alors oui, il se passe quelque chose d’inouï, que seul Dieu est capable de faire. On a de la peine à descendre aussi bas que Dieu est descendu. Déjà, se faire enfant, c’est scandaleux, se faire crucifier c’est inadmissible… Mais être au milieu de nous, sous l’apparence d’une matière inerte, ça, c’est de la folie. Et Dieu est fou d’amour, à ce point.

Et l’adoration, qu’est-ce que c’est ?

L’essence de la relation avec Dieu, c’est l’amitié; l’essence de la communion avec Lui, c’est ce cœur-à-cœur. Comme le disait sainte Thérèse d’Avila, «c’est avec Celui dont je me sais aimée et que je vais aimer en retour». L’adoration eucharistique est un lieu tout à fait particulier pour vivre ce dialogue d’amour avec Dieu. Il est là, Il me voit, je le vois, je suis en face de Lui, Il est réellement présent sous l’apparence de la petite hostie. Il y a donc une sorte d’intimité quasiment physique, car Il est corporellement présent. Cet aspect corporel ajoute quelque chose de tout à fait particulier à sa présence dans le cœur de l’homme, au milieu d’une communauté priante, dans sa Parole qui est annoncée. Cette présence corporelle est un prolongement de la messe et de l’action de grâce, en même temps qu’elle est une préparation à la prochaine communion. Benoît XVI a donné une lumière extraordinaire sur cela, en disant que puisque l’homme était fait pour adorer, il y avait comme une «suréminence» de l’adoration. Bien évidemment, il faut d’abord une messe pour pouvoir adorer le corps de Jésus, mais du point de vue de la perfection en quelque sorte, l’adoration, qui se vit aussi bien pendant la messe que durant son prolongement, est le sommet de la vie chrétienne.

L’Eucharistie a-t-elle toujours eu cette place centrale pour l’Église catholique ? Il y a plusieurs siècles, elle recommandait de communier seulement une fois par an et même l’adoration n’avait pas ce retentissement qu’elle a aujourd’hui…

Le cher cardinal Newman parlait d’un «désenveloppement» du dogme au fil des siècles. Ce trésor nous a été donné dès le départ, le soir de la Cène, et cela a dû être un choc terrible, lorsqu’au soir du ‘Seder’, repas de Pessah, Jésus a pris ce pain particulier symbolisant le Grand Prêtre, le médiateur entre Dieu et les hommes, qui avait été caché, percé, retrouvé, pour dire «ceci est ma chair», et pareillement lorsqu’il a pris la coupe de bénédiction (…) pour dire «ceci mon sang». Passé ce choc inouï, il a fallu du temps pour que tout cela se désenveloppe ; il a fallu surtout une contestation de la présence réelle, au XIe siècle avec Béranger de Tours, pour qu’une double réaction soit provoquée dans l’Église, d’abord avec le peuple de Dieu qui a dit «montrez-le nous ! On veut le voir !». Et donc, à partir du XIIe siècle, on a l’adoration du Saint-Sacrement, ainsi qu’une piété eucharistique inouïe ! Il n’y a pas une phrase, pas un mot de François d’Assise qui ne soit centré sur l’Eucharistie. Saint Louis vit de l’Eucharistie ; Thomas d’Aquin va développer tout cela, Saint Bonaventure aussi… Toute cette sainteté du XIIIe siècle est complètement eucharistique. Et puis, la réaction doctrinale a eu lieu avec le 4e Concile du Latran en 1215 où l’on va adopter le dogme de la transsubstantiation. Donc, on peut dire que le «désenveloppement» du dogme prend une tournure tout à fait particulière et centrale, y compris dans l’architecture avec le gothique qui met en son cœur le tabernacle et la présence réelle du Christ.

Dans le contexte de nombreux débats contemporains, notamment l’ordination de Viri probati (en Amazonie) et autres, certains affirment que l’Église aurait tort de s’arc-bouter, de se focaliser sur l’Eucharistie. Après tout, disent-ils, c’est un des sept sacrements, et puis, il faudrait remettre en valeur l’étude de la Parole de Dieu et des Écritures Saintes. Que leur répondriez-vous ?

Cela me cause une profonde tristesse car je pense qu’il y a là un manque d’intelligence théologale et d’intelligence de l’Eucharistie. Le père Jérôme de Sept-Fons disait justement que si la Bible constitue un message de Dieu et qu’elle est Parole de Dieu, elle n’est pas Dieu elle-même. L’Eucharistie, c’est Dieu lui-même. Une chose est d’entendre la parole, une autre est de rencontrer la personne. Une chose est d’écouter par radio, une autre est de se voir face-à-face. Le cardinal Journet avait une très belle image à ce propos. Il disait, «imaginez deux fiancés qui se parlent au téléphone… C’est extraordinaire, la voix est là, la chaleur, la tendresse, l’émotion sont là et tout d’un coup, ils se voient face-à-face et ils s’embrassent. Voyez-vous la différence entre une parole au téléphone et une accolade ou un baiser qui est donné entre deux amoureux ? Et bien vous avez compris la différence entre la Parole de Dieu et l’Eucharistie». C’est la rencontre chair à chair, cœur à cœur avec un Dieu vivant. Et sa Parole, bien sûr qu’elle est importante puisque c’est elle qui fait l’Eucharistie, -«ceci est mon corps»-, mais elle est là en vue de la présence réelle. Dieu ne pouvait pas quitter son peuple, l’abandonner après l’Ascension, ce n’était pas possible, -disait encore le cardinal Journet-, et donc Il a inventé l’Eucharistie, sa présence corporelle, comme immense trésor.

Vous prêchez beaucoup sur «la puissance de l’Eucharistie». L’avez-vous expérimentée vous-même ?

Je dois dire que je l’expérimente tous les jours ; je sais que ma vie vient de cette communion eucharistique, de cette adoration et je le vois aussi chez les jeunes que nous accueillons (à la fraternité Eucharistein, fondée par le père Buttet, ndlr) et qui sont passés par la drogue, l’alcool et la dépression. Ce qui me frappe, ce sont les témoignages unanimes de ceux qui s’en sortent : «c’est Jésus-Eucharistie qui m’a sauvé. Je sais que ces heures passées devant Lui, que cette communion ont embrasé mon cœur». Il y a quelque chose de l’ordre de l’amour qui est indicible. C’est le philosophe Jean-Luc Marion qui dit que cette relation ne s’exprime pas, elle se vit, mais on en voit des fruits inouïs. L’Eucharistie est au cœur du monde nouveau, elle est déjà la création rachetée, nous dit le Pape François de manière admirable. C’est là que le ciel nouveau et la terre nouvelle existent au milieu de nous, et que l’humanité nouvelle est régénérée complètement.

Je pense que si l’Église revenait à l’Eucharistie, on pourrait voir se réaliser la prophétie de Jean-Paul II : tout sera possible si une nouvelle ère eucharistique devient le cœur et la vie de l’Église.

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